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LE JOUR OU . . . Tauno JALANTI (Coteau : 1953 - 1958)
« J’ai réalisé la chance que j’avais d’avoir été aux Roches » par Tauno JALANTI (Coteau 1953-1958)
« Après mon frère Heikki, mes parents m'ont envoyé aux Roches à Verneuil sur Avre en 1953, pour que je sois immergé dans la culture française, et que j'en apprenne parfaitement la langue.
Imaginez l’anarchiste que j’étais (de tempérament), arriver dans un internat "haut de gamme" crée en 1899, sur le modèle des écoles anglaises pour la gentry, comme Eton et Harrow avec pour même principe l’éducation de l'esprit et du corps. Je découvrais étonné, dans les maisons, une discipline confiée à des "capitaines", élèves de terminale méritants, comme l'avait été mon frère Heikki. Pour moi, il n’en sera même pas question.
Mes journées ressemblaient à celles de tout bon rocheux, réglées comme du papier à musique.
A 7h10, le gong résonnait dans l'escalier. Avec un peu d'habitude, on le percevait déjà au moment où le responsable du réveil le décrochait. "Tout le monde debout ! Debout, debout !" criait le capitaine. Ceux qui ne bondissaient pas immédiatement hors du lit prenaient le risque de se voir flanquer par terre sous son matelas retourné. Course en bas des escaliers, jusqu'au rez-de-chaussée pour la toilette. Aux douches, le chef de maison dans le fond réglait la température aux robinets. Même là, M. Perrin était en complet tweed trois pièces ! Certaines fois, il s’agissait de douches écossaises : alternance d'eau chaude et de giclées d'eau glacée ! Ça réveille ! Puis, retour au pas de charge au dortoir. Les deux premières années, j'étais dans le grand dortoir du dernier étage, ce qui faisait un bon exercice. Faire son lit en vitesse. S'il n'était pas fait au carré, gare, on le retrouvait retourné et il fallait le refaire en vitesse avant de partir en classe !
7h40, petit déjeuner. Généralement du café au lait, assez bon malgré le léger relent de chicorée, une tranche de gros pain et 20 g de beurre… Les veinards avaient de la confiture, du miel ou de la crème de marron reçu des parents. Les miens m'apportaient un kilo de miel ou un pot de confiture d'orange Keiller Dundee. Ces pots étaient entreposés dans « l'armoire à bouffe », dans le hall entre le grand escalier et les toilettes.
8h, appel du «Pingouin »! Un klaxon à trois tons servant de cloche pour appeler les élèves. Par temps froid, il était enroué (paradoxal pour un pingouin) ou perdait deux de ses tons ! Rassembler ses affaires, ne rien oublier, et départ pour le Bat', (le bâtiment des classes). Seulement à une centaine de mètres du Coteau. Ce mémorable Pingouin, était actionné par une horloge dans le hall d'entrée, où un contacteur à mercure basculait pour l’actionner. Fascinant ! Il m'arrivait à la récré de rester posté devant, hypnotisé, par cet étrange mécanisme.
8h10, premier cours de la journée. Si c'était en 4ème, avec Mademoiselle Choppin, nous devions dire, debout, "Seigneur, nous t'offrons cette journée". S'il y avait une bonne raison, c'était, par exemple, "Nous t'offrons cette journée pour la mère de Nicolas, qui est malade…". Courte récré de cinq minutes, entre les deux premières périodes. 10h, récréation plus longue. Nous courions vers les Sablons, où, d'une fenêtre du rez-de-chaussée, nous recevions une tranche de gros pain. Certaines fois il était bon frais ! Quel délice ! Mais il pouvait aussi être totalement rassis et s'effriter entre nos doigts. Mais pas une goutte à boire. Pour ça, il fallait aller aux robinets des lavabos. 10h30, reprise pour les deux dernières périodes de la matinée, interrompues de nouveau par une courte récré.
12h30, repas de midi. Mais avant, distribution du courrier et, tous les quinze jours, attribution des places aux tables. Pour entrer dans la salle à manger (on ne disait pas réfectoire), il fallait montrer ses mains, recto, verso, au capitaine de service à la porte. Sales ? Retour au lavabo. Debout, chacun à place, on attendait, avant de s'asseoir, les deux coups de clochettes du chef de maison, sensés ponctuer le bénédicité. Les catholiques faisaient leur signe de croix à chaque tintement. Je suis certain qu'à part quelques enfants de chœur, nul ne récitait quoi que ce soit. Il y avait dans la salle à manger du Coteau six tables : Être placé à la table du Chef de maison était une épreuve, car il fallait s’y tenir parfaitement bien, sans le moindre écart.
L’après-midi était consacrée aux travaux pratiques ou au sport sous l’autorité de M. Drapier que tout le monde surnommait « Beau coq » pour le foot et M. Bora pour le basket.
18h30, dîner. Mêmes cérémonies des mains, de la prière et toujours une soupe, généralement délicieuse, pour commencer. Puis temps libre. Jeux, correspondance, causeries. Mon frère jouait même quelques rubber de bridge assis sur un palier… Au trimestre d'été on pouvait sortir et parfois il y avait un grand jeu, puis l’"Appel" du soir. Tous réunis dans l'étude principale. Le chef de maison nous faisait un exposé sur un sujet de son choix. M. Perrin nous lisait Macbeth. M. Blanc, le maquisard, les commandos dans la Gironde. M. Perrin nous avait aussi parlé d'idéogrammes. Nous avions également remis des questions sur des bouts de papier, comme par exemple : Qu'est-ce l'intelligence ? par les plus philosophes. Nous avons même auditionné la cinquième de Beethoven suivi de la Pince à linge des Quatre barbus. Les samedis remise des bulletins de quinzaine. Pas un jour faste pour moi. Je crois que j'ai eu une fois un bien, des fois un presque bien, mais plus généralement un passable, voire un médiocre, et même deux ou trois mal… Mon ami Louis était abonné au très bien, comme l'avait été en son temps mon frère.
20h, de nouveau étude à partir de la 4ème. Pour les "petits", coucher. 22h, extinction des feux…
Que reste-t-il de cette période de ma vie ? Cela aurait dû être de l’amertume, de la souffrance, de la rancœur… N’avais-je pas été moqué à cause de mon accent trainard, de mon nom ? Tauno… Tono… Tonneau mal cerclé…Mes yeux légèrement bridés, m'avaient valu d'être traité de Mongol. Je me consolais en me rappelant que Lucien Bodard le "fils du consul", surnommé Lulu le Chinois, avait également subi des brimades et quolibets de la même sorte. Cela dit, il y avait aussi de bons camarades, des amis. Je pense à Louis Cosnier, mon plus vieil ami, à Jeremy Bell, à Ahmed Ibrahim, Alain Firmin-Didot, Philippe Oehmichen, Hubert Piat, Christian Calosci. L’école m’avait donné aussi comme condisciples, Moulay Abdallah el-Alaoui (frère de Moulay Hassan, devenu Roi du Maroc), le fils de Jacques Fath, Mike Marshall le fils de Michèle Morgan, les deux fils d'André Malraux (tragiquement décédés ensemble dans un accident de voiture), Mohammed el-Tazi, fils du Pacha de Rabat et Ali el-Mokri fils de celui de Safi. M'avaient précédé l’écrivain Lucien Bodard, Alexandre de Marenches, patron éphémère du SDECE, le service du renseignement français, Bruno Crémer, l'acteur, le fils de Mehdi el-Glaoui...
J'ai revu une cinquantaine d'années plus tard quelques-uns de ceux qui s’étaient moqué de moi. Ils étaient devenus des camarades. Le temps avait gommé les mauvais souvenirs pour ne conserver que les bons. Aujourd’hui, je suis fier d'être un Rocheux. La vie avait été peut-être dure pour moi ces années-là, mais elle m'a donné une force de caractère qui m'a beaucoup servi. Que ce soit dans l'armée finlandaise où je suis lieutenant de réserve, ou comme chef d'entreprise. Dans mon bureau directorial à Microscan Service, entreprise de service en microscopie et microanalyse que j'ai créée en 1981, quand il fallait, seul, prendre une décision cruciale, flottaient les fantômes d'Emile Perrin ou de Louis Garrone, avec ceux du Maréchal finlandais Mannerheim ou du Général Leclerc.
Bref, la vie souvent dure à l'Ecole des Roches m'a "bien armé pour la vie" !
Tauno JALANTI
Le Coteau 1953 - 1958
Naissance à Helsinki en 1942.
1960 – 1966 :
1966-1967 :
1967 :
1975 :
1981 :
1981 - 2012 :
2012 :
Etudes d'ingénieur-physicien à l'Ecole Polytechnique de l'Université de Lausanne (EPUL).
Service militaire dans l'Armée finlandaise, dans la défense antiaérienne (DCA). Lieutenant de réserve.
Retour en Suisse, assistant au Laboratoire de Physique expérimentale, puis de Génie atomique (groupe physique du métal ) à l'EPUL, qui deviendra l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL).
Doctorat ès Sciences en Physique.
Fonde Microscan Service SA (MSSA), laboratoire privé de services en microscopie et microanalyse (créé 10 places de travail quand les grandes banques licencient !)
PDG de MSSA. Nombreuses interventions dans des congrès internationaux.
Départ à la retraite, Ecrit des romans policiers, science-fiction, mémoires.
Conseiller municipal "vert" de la commune d'Epalinges.
Parle cinq langues : Finnois, Français, Anglais, Allemand, Russe.
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